Ce questionnement est très à la mode et de nombreuses conférences sont données sur ce thème. Dans ce billet, je voudrais simplement revenir sur les raisons qu'a données Carlo Rovelli pour soutenir que le temps n'existe pas lors de sa conférence dans le cadre du cycle de conférences "Einstein et sa postérité". Carlo Rovelli est très en pointe sur ce sujet mais il me semble qu'il a une raison évidente pour cela. Carlo Rovelli est l'inventeur avec Lee Smolin de la théorie de la gravité quantique à boucles (loop quantum gravity, LQG). La construction de cette théorie est basée sur l'équation de Wheeler/DeWitt et les travaux de Abhay Ashtekar qui a explicité une forme canonique de la théorie de la gravité. Dans la LQG, en fait il n'y a pas de place pour le temps, seul existe un espace en 3 dimensions constitué de boucles quantiques.

Mais revenons-en aux raisons données par Carlo Rovelli dans sa conférence. Il explique que la définition du temps est cyclique, c'est à dire que si je veux définir le temps que met un pendule pour revenir à sa position initiale je suis obligé de me référer à quelque chose qui est aussi cyclique. Par exemple, l'angle que parcours la corde du pendule, je vais le relier à l'angle que l'aiguille de ma montre a parcouru (on peut dire que le serpent se mort la queue). Donc en fait, je n'ai pas besoin du temps car je peux me contenter d'expliciter des relations entre objets physiques existant dans l'espace. Cet argument me parait fallacieux car je peux faire le même raisonnement pour l'espace. Si je veux mesurer la distance séparant 2 objets physiques, je vais faire intervenir une autre distances séparant 2 autres objets physiques par exemple les 2 extrémités de ma règle d'arpenteur. Sans référentiel dans lequel je sais faire de l'arpentage dans le temps et l'espace, je suis démuni et cela est aussi vrai au niveau quantique.

Il me semble plus opportun de dire que les relations entre objets physiques ne sont pas des variables temps ou espace mais des intervalles que je peux comparer les uns avec les autres et ainsi définir d'une façon relative les événements de l'espace/temps. D'ailleurs c'est bien ce que l'on fait quand on définit la norme relativiste, le fameux ds². En prenant la vitesse de la lumière égale à un, nos unités d'espace et de temps deviennent homogènes (la vitesse d'un objet est alors un pourcentage de la vitesse de la lumière). C'est ce qui parait le plus naturel, notre système d'unités étant issu de la "vieille physique". L'avantage de cette conception ne faisant intervenir que des intervalles est qu'elle n'a pas besoin du continu, elle peut être discrétisée facilement puisque nous avons la constante de Planck qui permet avec les autres constantes de définir un grain d'espace et un grain de temps (la longueur de Planck et le temps de Planck, voir nota). Est-ce suffisant ? Je suis bien incapable de le dire. On notera en particulier qu'il reste la possibilité que la gravité soit une théorie émergente (elle est très bien vérifiée macroscopiquement et localement mais c'est tout), et dans ce cas, quelle est la définition de l'espace/temps ? En tout cas vous l'aurez compris, malgré le fait que je considère Carlo Rovelli comme un des grands physiciens actuels, ses arguments ne m'ont pas convaincu.

Nota : vu la "taille" de ces grains, il est possible de définir, même au niveau microscopique, des variables continues représentant l'espace/temps qui sont des sortes de moyennes. Elles permettent alors de définir des opérateurs de type dérivées partielles ou totales. On notera qu'alors la notion d'interaction ponctuelle est en fait un artefact de ces variables. De plus, les interactions conduisent, en mécanique quantique, à la notion d'intrication qui permet de définir une flèche du temps.