J'ai fait plusieurs billets sur la gravité émergente concluant que la gravité devait provenir d'une ou de plusieurs caractéristiques de la mécanique quantique. L'une de ses caractéristiques majeures est le phénomène d'intrication et j'ai essayé d'expliquer comment à partir de ce phénomène caractéristique on pouvait définir une gravité émergente. L'autre caractéristique majeure de la mécanique quantique est le fait que le vide fluctue via "le principe d'incertitude d'Heisenberg". Ces fluctuations donnent lieu à des impacts directs sur les propriétés de la matière et sont parfaitement mesurables (effet Lamb, moment magnétique anomal de l'électron, etc). Peut-on donc faire émerger la gravité des fluctuations du vide ?

Tout d'abord, est-ce que ces fluctuations permettent de dire que le vide "pèse", c'est à dire que l'énergie moyenne du vide n'est pas nulle ? Des expériences en cours veulent justement faire cette mesure, espérons qu'elles n'utilisent pas une balance de Roberval. Des physiciens théoriciens ont essayé de prouver que la constante cosmologique des équations d'Einstein provenait de l'énergie du vide mais les valeurs trouvées sont sans commune mesure avec la valeur de la constante cosmologique. Un calcul relativement simple montre pourtant que l'énergie du vide est nulle. En effet l'impact des termes fermioniques annule tout simplement l'impact des termes bosoniques dans le cas de particules de masse nulle. Comme les fluctuations du vide produisent des particules uniquement virtuelles on peut considérer que ces particules ne sont pas soumises au champ de Higgs donc restent sans masse. Reste le cas de la masse des neutrinos sauf si l'on ferme le modèle standard en introduisant 3 neutrinos dextrogyres ce qui a l'avantage d'avoir de très bons candidats pour la matière noire mais aussi explique pourquoi on ne constate pas de présence significative d'antimatière dans l'univers. On entend souvent que des expériences ont prouvé que les neutrinos dextrogyres n'existent pas. C'est faux ! Ces expériences ont simplement fermé quelques portes mais il reste encore pas mal de place surtout si les neutrinos dextrogyres ne ressentent pas la force faible contrairement aux lévogyres. L'exemple de l'expérience STEREO est flagrant. L'anomalie constatée dans le flux de neutrinos lévogyres provenant du réacteur nucléaire était simplement due à un biais dans les données. Une fois le biais corrigé cette expérience permet de fermer une porte mais certainement pas toutes les portes. Donc en conclusion l'énergie globale du vide (sommée sur tous les champs) est théoriquement nulle. Attendons les résultats des expériences de "pesage" et espérons qu'il n'y aura pas de biais dans les données car on voit maintenant souvent des articles publiés montrant avec force un résultat soit disant probant qui en définitive s'avère complétement faux (surtout en astronomie/cosmologie).

L'effet Casimir a été expérimenté et les résultats confortent l'existence de cet effet. Pour cela on utilise 2 plaques conductrices parallèles dans un vide très poussé. Lorsque les plaques sont suffisamment proches on constate qu'elles s'attirent. Pour des plaques planes la force engendrée est en un sur la distance de séparation puissance 4, si une des plaques est sphérique en un sur puissance 3. On peut faire un calcul détaillé et retrouver ces résultats mais l'explication physique est simple (voir nota 1). Entre les plaques, les fluctuations du vide sont limitées en fréquence (multiples de un sur la distance), en dehors des plaques il n'y a plus de limite d'où une différence fondamentale qui entraine cette force. Nous sommes dans le cas de plaques conductrices donc on fait référence ici à une théorie des champs quantiques électromagnétiques mais en théorie des champs quantiques on associe à chaque champ une particule et réciproquement on peut donc appliquer cette théorie à toutes les particules et champs. Une particule quantique est un objet complétement inconnu dont on ne sait définir que des propriétés contextuelles (dépendantes de l'expérience réalisée, interprétée d'ailleurs elle même sous forme d'histoires, voir nota 2). Il est donc difficile de faire une théorie complète de ce phénomène mais on peut émettre quelques hypothèses très spéculatives. La conservation du flux entraine une force en un sur le carré de la distance. En effet, la différence d'énergie pour un champ donné entre l'espace séparant les particules et l'espace extérieur est due au fait que les modes possibles de ce champ sont limités entre les particules et ce proportionnellement à l'inverse de la distance ce qui donne une fonction potentiel attirante en 1/d (voir nota 3). Même si les particules virtuelles sont sans masse, elles influent sur des particules massives donc la masse des particules doit être prise en compte et a priori de façon linéaire (voir nota 4). On retrouve donc de façon très spéculative la force de Newton pour des objets de "taille macroscopique" sachant que la valeur de la constante de gravité n'est pas si bien définie que ce que l'on suppose (voir nota 5).

Pour conclure, nos hypothèses sont très spéculatives mais une théorie émergente de la gravité permet de comprendre pourquoi les théoriciens se cassent les dents depuis plus de soixante ans sur la quantification de la gravité. Et ce n'est pas le seul argument en faveur de la gravité émergente, je renvoie à mes billets sur ce sujet pour en savoir plus (voir nota 6).

Pour finir, un peu d'histoire. Newton n'a jamais été content de sa formule donnant la force de gravité car il ne comprenait pas comment des corps pouvaient s'attirer à travers le vide. Les forces devaient se propager de proche en proche à travers un milieu servant de support, via un hypothétique éther par exemple. Un physicien de son époque (ou légèrement postérieure), Lesage, a résolu le problème en supposant que les corps macroscopiques étaient sans arrêt bombardés par des particules microscopiques, la gravité provenant alors d'un effet de masquage du flux des particules microscopiques. Feynman a repris ce concept dans un de ses écrits pour montrer que l'on pouvait concevoir un concept physique de plusieurs manières (voir nota 7). On peut considérer que le concept de gravité émergente via l'effet Casimir n'est pas si éloigné que ça de ce concept vieux de plusieurs centaines d'années..

Nota 1 : En fait, le calcul est plus compliqué si l'on tient compte de la température (agitation électronique et atomique) et que les plaques ne sont pas vraiment des conducteurs parfaits pour toutes les fréquences photoniques (passage de conducteur à diélectrique pour les très hautes fréquences ainsi que différents effets secondaires). Dans notre calcul on se place dans le cas de conducteurs parfaits et à température nulle car sinon la combinaison des différents effets est difficile à découper en effets primaires et secondaires.

Nota 2 : Griffiths a théorisé via des mathématiques rigoureuses les histoires en mécanique quantique. C'est beau mais très lourd mathématiquement et une compréhension avec les "mains" est très suffisante. Dans la description d'une expérience on ne fait jamais référence à la myriade d'interactions entre les objets quantiques, on construit simplement des histoires, exemple le photon est réfléchi par le miroir, un peu simpliste non ?

Nota 3 : Il s'agit évidemment d'un potentiel que l'on ne peut considérer que comme résiduel (type force de Van der Waals). En effet, les forces intrinsèques des champs quantiques sont beaucoup plus fortes que cette force qui n'est que la conséquence des fluctuations du vide. Son effet ne peux être significatif que quand la matière est globalement neutre (tous types de charges confondus). Par contre son effet est cumulatif, c'est pourquoi la force dérivée de ce potentiel ne devient sensiblement prépondérante que pour des corps au moins mésoscopiques. Et plus les corps sont dans le domaine macroscopique plus son effet est dominant sauf évidemment dans le cas où l'on ne peut pas considérer la matière comme neutre (plasma, corps ionisé, réaction nucléaire, etc), car dans ce cas les forces intrinsèques des champs quantiques reprennent leurs droits. Mais cela peut aussi se produire dans certains cas physiques particuliers comme par exemple les trous noirs qui semblent marquer a priori la limite de la relativité générale (pour les trous noirs supermassifs c'est plus difficile à affirmer car la valeur de leur courbure au niveau de la "sphère de Schwarzschild" est très faible mais la bonne métrique, celle de Kerr, peut laisser place à plusieurs types d'interprétations et le rayonnement d'Hawking de nature purement quantique est toujours présent. De plus, les dernières théories sur la constitution de l'univers jeune, quelques millions d'années après le découplage lumière/matière, permettent de penser que les trous noirs supermassifs se sont bien formés à partir de trous noirs stellaires issus d'étoiles massives).

Nota 4 : En fait, on doit raisonner de cette manière. L'effet étant cumulatif, la force globale attirante dérivée du potentiel en 1/d qui s'exerce sur 2 objets physiques indépendants (d étant alors la distance moyenne entre les 2 objets) est proportionnelle au nombre de particules composant chacun des 2 objets donc proportionnelle à leur masse respective.

Nota 5 : Des expériences faites pour mesurer la valeur de la constante G de la gravité donnent des résultats qui ne se recoupent pas (incertitudes prises en compte). La valeur de G a été fixée de manière très arbitraire par le bureau international des poids et mesures (valeur SI de G).

Nota 6 : Un exemple typique : comment peut-on définir le champ de gravitation d'une particule quantique en état de superposition spatiale (c'est pratiquement toujours le cas des particules quantiques) ?

Nota 7 : Ce type de théorie est reprise comme exemple par Poincaré dans son livre "La Science et l'Hypothèse".