J'ai fait plusieurs billets sur les trous noirs et expliqué que l'on pouvait considérer que l'on savait qu'il existait dans l'univers des objets plus compacts que des étoiles à neutrons mais que l'on ne pouvait pas aller plus loin. Plutôt que de parler de trou noir (tn) il vaut mieux parler de trou gris (tg) qui ont des caractéristiques assez proches de celles des tn en particulier en ce qui concerne leurs interactions avec le milieu extérieur. Un article très récemment sorti et publié par une équipe principalement canadienne apporte des précisions sur les tn versus tg.

Tout d'abord résumons comment le concept de tn s'est imposé en physique (en tout cas pour la version vendue au grand public). Il existe des solutions exactes aux équations de la relativité générale. Si l'on suppose une certaine quantité de matière concentrée dans un volume donné possédant certaines symétries on peut définir 4 métriques en dehors de la matière : masse sans mouvement = métrique de Schwarzschild (ms), masse en rotation = métrique de Kerr (mk), masse chargée = métrique de Ressner-Nordström, masse chargée + en rotation = métrique de Kerr-Newman. Les 2 dernières n'ont pas vraiment d'intérêt car les impacts d'une charge sur la métrique par rapport à la masse sont petits si cette charge est faible et visiblement nos observations montrent que dans les objets peuplant l'univers cette charge ne peut être que petite. Si l'on suppose que cette masse est très concentrée alors il existe dans le cas ms et mk (mais dans ce cas cela dépend de la valeur du moment cinétique de la masse) un horizon des événements. C'est à dire une valeur de r (attention r est une coordonnée définissant un rayon mais pas une distance) appelée rayon de Schwarzschild (rs) pour laquelle tout objet physique ponctuel et de masse négligeable (par rapport à la masse du tn) qui atteint cette valeur (rs) ne peut que se diriger vers r = 0 (un point pour ms, un anneau pour mk). On considère donc que toute la masse du trou noir est concentrée vers r = 0 avec une densité infinie (problème ?). Ensuite sur l'horizon la vitesse des particules est égale à la vitesse de la lumière (problème ?) et pour r < rs la coordonnée r est devenue une cordonnée temporelle (problème ?). On notera que pour un observateur extérieur, dans son référentiel, aucun objet tombant de r > rs n'atteint jamais rs en un temps fini mais ce n'est pas le cas dans le référentiel propre de l'objet (voir nota 1).

Tout cela est bien joli mais maintenant il faut relier les objets connus en particulier les étoiles aux tn. Il faut donc être capable en partant d'une étoile qui s'effondre d'arriver à un tn.

Nous savons que les étoiles sont en équilibre sous la pression de radiation principalement due aux photons émis lors des réactions nucléaires (dans un premier temps la transformation d'hydrogène en hélium). Remarquons d'abord qu'une étoile est donc avant tout un objet quantique. Lorsque ces réactions s'arrêtent car le "carburant" des réactions nucléaires est épuisé la pression de dégénérescence des électrons puis des neutrons va arrêter l'effondrement. Toutefois si l'on calcule la valeur de cette pression pour une étoile suffisamment grosse, sa valeur n'est pas suffisante pour arrêter l'effondrement. Ce calcul a été fait en 1939 mais depuis nous avons appris beaucoup de choses (quarks, chromodynamique quantique, etc) et mis au point le modèle standard des particules élémentaires d'ailleurs non définitif car par exemple la masse des neutrinos nous indique qu'il y a encore beaucoup de choses à découvrir au-delà. Donc il est peut-être possible d'arrêter cet effondrement par de nouveaux mécanismes (problème ?).

Des calculs ont été faits pour montrer comment le processus d'effondrement pouvait se dérouler. En particulier en 1939, en prenant en compte une matière inerte sans interaction (pression nulle), répartie de manière sphérique et sans mouvement de rotation il a été calculé que l'on arrivait bien à un tn de type ms. Malheureusement ce cas n'a rien à voir avec une étoile en effondrement (problème ?). Depuis d'autres calculs plus fins ont été faits mais ils font tous des approximations grossières et ne prennent pas en compte suffisamment la mécanique quantique (nous ne savons pas quelle est l'équation d'état de la matière par exemple ni quel est le degré d'homogénéité de l'étoile en effondrement). De plus certains résultats montrent que l'on arrive à une singularité nue donc sans horizon des événements et la fameuse conjecture de Penrose (voir nota 2) ne s'applique pas (problème ?). De fait le premier calcul de 1939 ne pourrait pas s'appliquer à un énorme nuage de gaz (plusieurs milliards de masses solaires) en effondrement car dans ce cas la "densité" calculée au niveau de rs est très faible (ce calcul est une "densité" moyenne dans la sphère de Schwarzschild et il vaut mieux donc parler de forces de marée). C'est pourquoi l'on parle souvent d'astronaute tombant dans un trou noir sans qu'il ne se passe rien pour lui (au moins dans un premier temps). Mais pour une telle "densité" les réactions nucléaires ne pourraient pas s'enclencher tant que r est supérieur à rs et de plus dans ce type de nuage des concentrations locales se forment (comme nos observations courantes nous le montrent) et produisent des étoiles donc ce cas est à rejeter (problème ?). La solution expliquant que ces énormes soit disant tn se sont formés à partir d'objets plus petits déjà agglomérés (tn, étoiles standards, étoiles à neutrons, etc) n'est pas plus réaliste (problème ?).

Pour conclure cette première partie nous sommes donc sur que les tg existent mais aller au-delà c'est une pure spéculation.

Un événement fracassant c'est produit ces dernières années, la publication de l'image de tn grâce à la collaboration EHT. C'est en fait une image de synthèse produite par l'analyse de données issues de plusieurs radio télescopes répartis sur la surface de la terre. C'est donc une analyse en ondes radio très courtes (la lumière émise dans un fort champ de gravitation est très très décalée vers le rouge). C'est un travail remarquable et l'on distingue sur ces images de synthèse (fausses couleurs) une répartition de la lumière conforme aux calculs faits lorsque l'on considère une répartition de matière très concentrée dans l'univers (le premier calcul exact a été fait par JP Luminet dans les années 1970). On distingue en particulier le fameux disque d'accrétion caractéristique des tn ou tg. Dans le nouvel article paru récemment (fin 2022), l'équipe principalement canadienne explique qu'après une analyse fine des données ayant permis de produire l'image de synthèse ils ont pu détecter des anneaux de photons. Ces anneaux sont prévus par mk et ils se trouvent très proches de l'horizon des événements (en ms il en existe un seul). D'après JP Luminet qui se base sur un travail de l'équipe de l'observatoire de Paris un des anneaux serait à 2.6 rs donc vraiment à proximité de l'horizon des événements. Si ces données et calculs sont exacts la marge entre les tg et les tn se resserre. Toutefois les données doivent être validées de manière beaucoup plus fines et les calculs restent un peu hypothétiques sachant qu'ils se basent eux-mêmes sur mk (en particulier la masse du trou noir n'est pas connue de façon très précise). Il faut donc attendre la mise en service de nouveaux radio télescopes pour se prononcer. Plusieurs doivent rejoindre le projet EHT et il est prévu d'en installer sur la lune. De plus les calculs doivent être vérifiés par plusieurs équipes. A noter que JP Luminet dans ses conférences sur les trous noirs explique maintenant que ce qui se passe dans un trou noir est un gros point d'interrogation. Il est temps que tous les physiciens l'expliquent au grand public et précisent que le reste comme les trous de vers est avant tout de la spéculation infondée tant que la mécanique quantique ne sera pas correctement prise en compte (d'ailleurs c'est en appliquant la mécanique quantique sur l'horizon des événements, mais de manière très approximative, semi-classique, que l'on calcule l'entropie et le rayonnement des tn, ces deux caractéristiques étant nulles de manière classique).

Nota 1 : En fait sur tous ces points la situation avec mk est un peu plus compliquée car le moment cinétique de la masse joue un rôle : existence de plusieurs valeurs spécifiques de r et d'une ergosphére aux propriétés particulières. Mais cela ne change en rien les problèmes de fond qui sont simplement un peu plus compliqués via la présence du moment cinétique.

Nota 2 : Penrose a reçu le Prix Nobel de physique pour ses contributions à la théorie des trous noirs. Il est vrai que toutes ses démonstrations sont mathématiquement très belles car elles sont basées sur la topologie appliquée aux équations de la relativité générale. Malheureusement elles prennent en compte une conjecture sur les sous-variétés de l'espace-temps et de plus la mécanique quantique ne joue aucun rôle. Il faut donc les prendre avec des pincettes.