Le nouveau télescope envoyé dans l'espace, JWST (James Webb Space Telescope), a fourni début juillet des images impressionnantes du champ profond de l'espace, c'est à dire aux ultra grandes distances. Tout de suite certains scientifiques en quête de sensationnel ont conclu que ces images remettaient en question la théorie cosmologique actuelle (lambdaCDM) bien que celle-ci est un fondement solide suite à l'analyse du fond cosmologique diffus et ils ne se sont pas privés de publier des articles soit disant de référence à ce sujet.

L'argument massue est qu'il existe de nombreuses galaxies bien formées et très massives au tout "début de l'univers". Malheureusement déterminer la distance d'une galaxie n'est pas si simple dès que l'on est en champ profond. On entend parler sans arrêt du fameux "red shift" comme s'il était le "nec plus ultra" pour savoir quelle est la distance d'une galaxie. Le "red shift" est bien un phénomène parfaitement connu qui provient de l'expansion de l'espace lorsque l'on utilise le modèle d'univers de Friedman-Lemaître (issu des équations d'Einstein) base du modèle actuel. En fait on a une formule très simple qui relie le "red shift" au facteur d'expansion de l'univers mais qui n'est valable que quand le "red shift" est petit (les cosmologistes utilisent le coefficient z pour caractériser le "red shift"). Dès que celui-ci est grand, c'est à dire z > 0.1 (JWST mesure des z jusqu'à plus de 10), la formule n'est plus du tout la même car l'approximation n'est absolument pas valable. En plus, le facteur d'expansion n'est pas une simple fonction linéaire du temps cosmologique et il varie fortement lorsque l'on se rapproche du "début de l'univers".

En dehors de ce point fondamental, il faut de plus se rappeler que plus la lumière vient de loin plus elle rencontre du gaz donc comme le montre très bien la théorie elle perd un peu d'énergie, "elle vieillit", et donc cette perte d'énergie augmente sa longueur d'onde, c'est un autre motif de "red shift". Il est très très faible mais l'accumulation des chocs due à la distance fait qu'il n'est plus négligeable pour des distances aussi grandes.

Un dernier point bien connu de la relativité générale est le fait que la trajectoire de la lumière est courbée par les masses. Cet effet augmente la distance mesurée par rapport à la distance en "ligne droite" (la lumière suit les géodésiques de l'espace/temps) et donc plus la lumière provient de loin, plus cet effet conduit à une mesure de distance qui est surévaluée car globalement l'espace/temps est considéré comme pratiquement plat.

En dernier ressort, il est possible que comme le dit JP Luminet l'univers soit "chiffonné" (je ne connais pas d'indication dans ce sens). C'est à dire que sa géométrie ne soit pas simple. Alors une galaxie peut être vue plusieurs fois à différents endroits (indépendamment des mirages gravitationnels, autres sources de multiplication des images). Dans ce cas, les mesures des grandes distances seraient erronées (il s'agit évidemment des distances du champ profond et non pas des distances locales).

En conclusion, "avant de jeter le bébé avec l'eau du bain", les scientifiques doivent réévaluer certaines hypothèses qui peuvent conduire à des calculs erronés. N'oublions pas la une de journaux scientifiques il n'y a pas si longtemps : "le neutrino se déplace plus vite que la lumière" qui s'est conclu par : "c'était un problème de connexion au niveau des fibres optiques", cela fait froid dans le dos, non ? Le problème fondamental de la cosmologie est un problème très terre à terre : faire de l'arpentage. Rien d'évident, on ne peut pas se déplacer dans le cosmos avec un mètre d'arpenteur ni même utiliser un laser comme le font les géomètres. C'est une question très difficile que les scientifiques en guise de sensationnel ferait mieux d'aborder sérieusement avant de vouloir vendre au grand public leurs "négationnismes".

Je voudrais compléter cette conclusion par quelques remarques. D'abord les points évoqués ci-dessus ne sont certainement pas la solution aux problèmes rencontrés mais ils illustrent bien les difficultés de définir une distance en champ profond (voir nota). Certains veulent remplacer la théorie lambdaCDM par une théorie MOND. En dehors de la première théorie de Milgrom qui est une théorie ad hoc pour expliquer la courbe de rotation de certaines galaxies (c'est à dire la vitesse de rotation des étoiles périphériques) et n'explique rien de plus, les autres théories MOND font appel à de nouveaux champs et s'enorgueillissent souvent de supprimer la matière noire. Mais qui dit nouveaux champs, dit nouvelles particules d'après la mécanique quantique donc où est le gain ? De plus, ces théories ont beaucoup de "trous dans la raquette". Ce qui me semble bien établi en cosmologie c'est l'existence du fond diffus cosmologique et ses caractéristiques d'où le modèle lambdaCDM via les équations d'Einstein valables simplement au niveau macroscopique (ce qui laisse la place à une théorie émergente de ces équations). Ce modèle nous dit qu'il existe de la matière dite noire car interagissant très peu (et non pas, pas du tout) avec la matière connue et une constante cosmologique (comme l'a montré Cartan) dont la valeur est positive et très petite. On peut aussi en déduire en étudiant les fluctuations du fond diffus et si l'on suppose que l'univers a "débuté" par une phase quantique que l'univers a connu une phase d'inflation. Je mets le terme "débuté" entre guillemet car pour définir un début il faut un référentiel et je ne vois pas très bien comment le définir. Cette remarque vaut d'ailleurs pour la phase d'inflation. Nos problèmes d'arpentage (temps et espace) sont vraiment prégnant dans toutes les phases de l'univers (sauf en champ local). Un autre point est que malgré nos nombreuses observations nous connaissons mal la dynamique des galaxies et des amas mais à partir du modèle lambdaCDM on reconstitue très bien la toile cosmique. En conclusion de la conclusion, la cosmologie est une science très molle et difficile car l'univers est par essence unique. Aucune expérience n'est possible donc tout est sujet à interprétation via nos théories physiques les mieux établis mais il y a donc toujours une grande place pour le doute. JWST ne donne pas que des images du champ profond, il permet d'analyser plusieurs domaines du champ local où nos observations sont moins sujettes à caution. C'est vraiment un instrument extraordinaire qui va enrichir considérablement nos connaissances de l'univers.

Nota : une solution récente qui a les faveurs de JP Luminet (quid de l'univers "chiffonné" ?) est l'existence au "début de l'univers" de trous noirs d'une centaine ou millier de masses solaires (Hawking en a bien prévus mais il s'agit uniquement de "micros trous noirs" dont les traces n'ont toujours pas été détectées). Via un système d'accrétion rapide dit de "Bondi" (théorisé par le physicien Hermann Bondi), ces trous noirs atteignent rapidement une taille de plusieurs millions ou même milliards de masses solaires et permettent alors la formation rapide de galaxies de tailles et de formes significatives. Dans les articles correspondants, je n'ai pas trouvé de justification théorique, uniquement des courbes basées sur des modèles statistiques. Si vous avez plus de données ou de références, merci de me les communiquer. D'autant qu'un des astrophysiciens de l'institut d'astrophysique de Paris s'apprête à publier la mise en évidence de l'existence d'une galaxie née 250 millions d'années après le big bang (via les données issues de JWST). Des galaxies nées 250 millions d'année après le big bang avaient déjà été découvertes (via les mêmes données), puis "pan pan rataplan", elles étaient nées en fait quelques milliards d'années après le big bang (z = 5 ou 6). Bon ! espérons les arguments de cet astrophysicien plus solides. Pour la création des "gros trous noirs primordiaux", on est encore dans la phase "mystères et boules de gomme".