L'utilisation d'expériences de pensée ou d'images est un outil pour le raisonnement à la fois dans le domaine de la recherche mais surtout dans le domaine de la vulgarisation des théories. Le danger principal de cet outil c'est que pour des esprits non avertis il peut créer des biais conduisant à des fausses interprétations. Par exemple, plusieurs mathématiciens de renom travaillant sur des théories très abstraites aiment bien se représenter les objets mathématiques sous forme géométrique et cela n'a aucune conséquence pour leurs théories, c'est une simple aide conceptuelle. En physique, Einstein a construit de nombreuses expériences de pensée dont les plus célèbres essayaient de montrer qu'il existait des incohérences ou des imprécisions en mécanique quantique mais cette dernière en est toujours sortie vainqueur. Ceci montre bien qu'il faut être très méfiant vis à vis de ces expériences de pensée ou de ces images.

Une image souvent utilisée pour expliquer l'expansion de l'univers est celle du ballon que l'on gonfle. Evidemment c'est une représentation de ce qui se passe à 3 dimensions alors que la surface du ballon n'en a que 2 mais c'est une très bonne image, pourquoi ? Pour représenter l'univers que l'on suppose homogène et isotrope on peut utiliser une métrique comobile qui définit un temps universel on a donc un espace à 3 dimensions plus un temps indépendant. Maintenant sur la surface du ballon définissons un pavage (voir nota) avec des points centraux. Lorsque l'on gonfle le ballon, la distance entre les points augmentent mais le nombre de pavages qui les sépare ne change pas. De plus la vitesse d'éloignement entre les points est proportionnelle à la distance. C'est exactement ce que nous dit notre théorie de l'univers et que nos observations montrent. Toutefois l'analogie s'arrête là car la courbure observée de l'univers est pratiquement nulle donc très légèrement positive ou négative ou vraiment nulle (?).

Dans le cas de l'univers il faut rajouter ce que l'on appelle couramment l'énergie noire qui accélère l'expansion. Pour l'instant cette appellation est abusive car il s'agit tout simplement d'une deuxième constante dans les équations d'Einstein comme l'a montré le mathématicien Cartan. Des observations plus poussées nous dirons si elle varie dans le temps mais pour l'instant notre meilleur modèle la considère comme une vraie constante (et aucune mesure ne le contredit). Aucun calcul d'énergie d'un champ quelconque ou du vide ne rend compte de sa valeur.

Une représentation de la gravité qui est souvent utilisée c'est le drap tendu sur lequel on pose une masse sphérique. Ce dernier se déforme alors et si l'on jette une bille légère sur le drap celle-ci va suivre une courbe qui va définir une pseudo géodésique. En ce qui concerne l'idée de géodésique c'est une bonne image. Par contre en ce qui concerne l'espace/temps et la gravité c'est très insuffisant car une masse courbe l'espace et le temps ensemble (on ne peut pas définir un temps universel comme lorsque l'on analyse l'univers dans son ensemble). Le temps joue un rôle dans la courbure ainsi que l'espace et donc les phénomènes constatés sont dus à la combinaison des effets engendrés par la courbure de l'espace et du temps (par exemple : calcul de la déviation de la lumière par le soleil ou de l'avance du périhélie de Mercure).

On associe souvent à un objet quantique la notion d'onde/corpuscule. Dans l'expérience des fentes d'Young appliquée à des objets quantiques on s'amuse à fermer ou à ouvrir une des fentes : une fente fermée pas d'interférences, les 2 ouvertes "pan pan rataplan" interférences. Cela prouve-t-il que l'objet quantique est à la fois une onde et un corpuscule ? "Que nenni". Nos expériences montrent que l'objet quantique a une certaine probabilité d'arriver à un endroit de l'écran mais cela est dépendant du contexte car lors de son trajet l'objet quantique va interagir avec les objets quantiques de la source, puis du premier écran, puis du deuxième écran et avec son environnement, il va donc s'intriquer avec des tas d'objets quantiques et donc dans les 2 cas il ne se comporte pas de la même manière et des cohérences entre les objets quantiques vont se créer. En utilisant des cavités résonnantes derrière les fentes et des atomes excités on comprend bien le phénomène (voir mes autres billets). Mais cette image onde/corpuscule est très utile pour interpréter et analyser certains phénomènes en faisant l'impasse sur les multitudes d'interactions que l'objet quantique a en réalité. Ce qui est bluffant en mécanique quantique c'est qu'en inventant une histoire du type l'objet quantique a 2 états possibles : passage par le fente 1 ou passage par la fente 2, on explique l'expérience d'Young en une ou deux lignes de calcul élémentaire.

Une autre expérience de pensée dont on parle souvent en mécanique quantique est celle du chat de Schrödinger. Via un dispositif aléatoire basé sur des objets quantiques, un poison est libéré qui tue le chat enfermé dans une boite. Vu de l'observateur extérieur le chat peut-être vivant ou mort et la mécanique quantique nous dit que le chat est dans un état superposé de ces 2 états et que c'est lors de l'ouverture de la boite qu'un des états est choisi. Je n'ai jamais bien compris ce que cette expérience voulait prouver. Le chat est un objet macroscopique, si je veux qu'il reste vivant un certain temps avant que le dispositif ne se déclenche, il faut lui laisser de l'air et donc il va avoir comme tout objet macroscopique des myriades d'interactions avec son environnement (de plus il est pratiquement impossible d'arrêter le rayonnement cosmologique diffus des photons et des neutrinos). Dans ce cas le chat ne peut être que dans un seul état : vivant tant que le poison n'est pas libéré et mort une fois le poison libéré. Que montre cette expérience ?

Dans un livre de vulgarisation, un poisson quantique est montré éparpillé façon puzzle dans une mare. Lorsque le pécheur ferre le poisson, il se reconstitue. La mécanique quantique nous dit simplement que le poisson a une certaine probabilité de se trouver en un certain endroit, c'est tout. L'auteur ferait bien de relire ses classiques.

Une expérience de pensée qui me semble grotesque et qui est employée par Susskind, pourtant un grand théoricien et un excellent pédagogue, est celle-ci. Susskind intrique un nombre immense de particules 2 à 2. Il sépare les couples de plusieurs années lumière et forme avec chacun de ces 2 ensembles 2 trous noirs. Je ne veux même pas savoir ce qu'il en déduit, pour moi, même en pensée cette expérience est stupide. Une expérience de pensée doit avoir au moins un certain degré de réalité, là c'est de la fantasmagorie (cela me rappelle d'ailleurs le livre de vulgarisation de Thorne sur les trous de vers, une crise de delirium tremens, j'espère qu'il est guéri). Il parait aussi que Susskind dit que le fait que les cordes prévoient une particule du type graviton (donc engendrant la gravité) prouve que la théorie des cordes est juste. Je ne savais pas que l'inventeur de la théorie des cordes était Newton, il était vraiment en avance sur son époque.

Bon en conclusion, les expériences de pensée et les images c'est bien mais "l'eau ferrugineuse c'est mieux", donc à consommer avec modération et dans un cadre bien défini.

Nota : Un pavage correspond à couvrir une surface de petites surfaces identiques toutes contigües les unes aux autres (pas d'espace libre entre elles ni de recouvrement). En fonction de la surface le choix est souvent difficile (cela s'étend à des espace à n dimensions) et en fait c'est une branche ardue des mathématiques. Dans notre cas on suppose que l'on sait le faire.