Le but de ce billet n'est pas de faire un cours de mathématiques sur la relativité (il en existe beaucoup, plus ou moins bien faits) mais de mettre en évidence quelques points particuliers souvent négligés mais qui peuvent avoir leurs importances et permettent d'avoir une vue plus globale des implications de la relativité.

Je rappelle qu'un des principes premiers de la relativité (pas toujours bien explicité) est que l'on peut toujours localement, donc en un point événement, se ramener à un espace/temps de Minkowski. Le terme localement veut dire que théoriquement ce point événement est infinitésimal mais dans le cas d'un champ de gravité faible il peut définir un espace/temps relativement grand et ce d'autant plus que la force de gravité est beaucoup plus faible que les autres forces connues. L'espace/temps de Minkowski est défini par sa pseudo norme (ou pseudo produit scalaire) ds² = dt² - dx² - dy² - dz² où (t, x, y, z) définissent un quadri-vecteur X qui représente un événement de l'espace/temps (voir nota 1). Cette pseudo norme exprime en particulier le fait que rien ne peut dépasser la vitesse de la lumière.

Cette pseudo norme est la base de la construction de tous les invariants en relativité. Il y a plusieurs objets que l'on peut construire : des quadri-vecteurs, des tenseurs et enfin des spineurs. Ils ont tous la particularité lors d'un changement de référentiel de se transformer de manière à laisser leurs produits scalaires invariants (voir nota 2).

Le premier invariant que l'on peut construire de manière évidente c'est la vitesse d'univers dont la pseudo norme est égale à 1. En effet : (dt/ds)² - (dx/ds)² - (dy/ds)² - (dz/ds)² = 1. En remarquant que (ds/dt)² = 1 - v² et en introduisant une constante m propre à la particule qui va donc la caractériser, on construit le quadri-vecteur P = (Pt, Px, Py, Pz). Par analogie avec la physique classique (v petit), on associe ce quadri-vecteur à l'énergie et à l'impulsion de la particule, c'est donc son quadri-vecteur énergie/impulsion et m sa masse d'où d'ailleurs l'équivalence masse/énergie. Bon vous me direz tout ça pour ça mais on n'est pas obligé de s'arrêter là.

Amusons nous à construire un tenseur à l'aide des 2 quadri-vecteurs X et P (voir nota 3). En fait la construction simple n'a pas beaucoup d'intérêt mais tout tenseur d'ordre 2 peut de décomposer de manière évidente en un tenseur symétrique et un tenseur antisymétrique, noté M ici (voir nota 4). Un tenseur antisymétrique d'ordre 2 peut se décomposer en 2 vecteurs d'espace (composantes en x, y et z), le premier s'appelle vecteur d'espace électrique E, l'autre vecteur d'espace magnétique B (voir nota 5). Ici B est tout simplement proportionnel au moment cinétique classique. A partir de ce tenseur on fabrique 2 invariants relativistes E² - B² et E.B (on utilise le produit scalaire d'espace ici), On retrouve ce résultat en électromagnétisme, le premier invariant étant le Laplacien du champ électromagnétique. On peut continuer en introduisant le tenseur de Levi-Cevita (Lc) et créer un nouveau quadri-vecteur W = (1/2) Lc M P (voir nota 6) dont la pseudo norme est un invariant de Casimir (l'autre invariant de Casimir étant la pseudo norme de P, soit m).

Il nous reste un dernier objet à construire, les spineurs. Un quadri-vecteur est composé de 4 composantes qui ont la propriété de se transformer par un changement de base de manière à conserver la pseudo norme donc si l'on définit un objet mathématique ayant 2 composantes complexes nous auront le même nombre de variables mais il faudra que ces variables se transforment en conservant la pseudo norme. Il faut donc imposer aux termes de la matrice définissant la transformation un certain nombre de contraintes en particulier celles définies par les 6 rotations dans les 6 plans de l'espace/temps (voir nota 7). Une fois ces contraintes imposées on peut définir : un produit scalaire de spineurs (sa valeur doit être bien sur invariante), un spineur métrique en relation avec ce produit scalaire, la notion de spineur conjugué ou spineur à indice pointé, des spineurs dit "tensoriels" (voir nota 8) et enfin relier les spineurs "tensoriels" aux tenseurs et en particulier aux quadri-vecteurs. Si l'on ne s'occupe que de la composante espace d'un spineur, celle-ci à la particularité de s'inverser lors d'une rotation de 360° dans la partie espace, il faut donc faire 2 tours pour retrouver le spineur "espace". Comme ces objets sont un peu particuliers, il est loisible de dire qu'ils agissent dans un espace "interne" lié à la particule (voir nota 9) mais leurs liens avec les tenseurs vont se traduire par des actions dans l'espace/temps.

Un constat important que l'on peut faire vis à vis des transformations laissant invariant le pseudo scalaire est que le produit de 2 transformations de même type ne conduit pas toujours au même type de transformation. La conjugaison de 2 "boosts" (voir nota 10) conduit en fonction de l'orientation des vitesses à un boost plus une rotation. Pour une particule accélérée cela se traduit par la précession de tout vecteur rattaché à la particule, précession dite de Thomas, en particulier celle de son spin.

Un autre est que si l'on attribue un vecteur spin (de type espace) à une particule, on peut définir la projection de son vecteur impulsion (de type espace) sur ce vecteur spin. Cette quantité change de signe si le nouveau référentiel employé se déplace plus vite que la particule. Par contre si la masse de la particule est nulle (photon par exemple), celle-ci se déplaçant à la vitesse de la lumière, le signe est un invariant caractérisant la particule (voir nota 11).

Tout ceci est encore mieux défini si l'on se place dans le cadre de la mécanique quantique. Les différents objets deviennent des opérateurs hermitiques qu'il est relativement simple de faire apparaitre en considérant l'invariance de la fonction de probabilités complexe (voir nota 12). Cette invariance définit alors les relations de commutation entre ces opérateurs et les opérations algébriques que l'on peut effectuer entre eux permettent de définir leurs valeurs propres et leurs fonctions propres. Mais si l'on veut être mathématiquement complet et surtout plus rigoureux, on se place alors en théorie des groupes, ici le groupe de Poincaré (groupe de Lorentz élargi), et on recherche les générateurs du groupe et l'algèbre de Lie associée mais cela est plus des mathématiques que de la physique (souvent indispensables mais pas toujours nécessaires).

Enfin si l'on veut pleinement définir une particule, il faut caractériser son interaction avec les champs via des objets qui peuvent être simples, par exemple la charge électrique pour le champ électromagnétique, ou parfois plus compliqués, par exemple la charge de couleur (rouge, vert, bleu) pour le champ de la force forte.

Nota 1 : la vitesse de la lumière est prise égale à 1 donc l'unité de temps est identique à l'unité de distance et les vitesses sont exprimées en pourcentage de la vitesse de la lumière. Dans beaucoup d'ouvrages la définition du ds² est inversée, je n'ai jamais compris l'intérêt de cette inversion car les particules ont toutes une vitesse égale ou inférieure à celle de la lumière et donc le ds² doit être positif pour les cas physiques.

Nota 2 : pour un tenseur on montre que sa trace est aussi un invariant.

Nota 3 : on peut toujours construire des tenseurs de plusieurs ordres en multipliant (correctement) les coordonnées de plusieurs quadri-vecteurs mais le contraire n'est généralement pas vrai, un tenseur n'est pas obligatoirement le produit de plusieurs quadri-vecteurs.

Nota 4 : un tenseur symétrique a ses composantes opposées égales, un tenseur antisymétrique à toutes ses composantes opposées inverses l'une de l'autre (coefficient moins 1 entre elles) et nulles si les 2 indices sont identiques.

Nota 5 : cette dénomination vient de l'électromagnétisme. Les champs électrique et magnétique qui dérivent d'un quadri-potentiel sont regroupés en relativité dans un tenseur d'ordre 2 antisymétrique, le tenseur électromagnétique.

Nota 6 : le tenseur de Levi-Cevita est un tenseur d'ordre 4. Il est égal à plus 1 si ses indices sont dans l'ordre normal d'une permutation circulaire par exemple (0, 1, 2, 3) ou (2, 3, 0, 1), moins 1 dans un ordre anormal par exemple (0, 2, 1, 3) ou (2, 3, 1, 0) et nul si 2 au moins sont égaux par exemple (0, 0, 1, 2) ou (3, 3, 3, 3). Pour construire le quadri-vecteur W à partir de ces 2 tenseurs et du quadri-vecteur on applique une contraction d'indices au tenseur ainsi formé. Ici la contraction s'effectue sur 3 indices bas du tenseur de Levi-Cevita et les 3 indices haut du tenseur M P. L'opération de contraction d'un tenseur permet de réduire son ordre tout en conservant sa propriété d'être un tenseur (ou de devenir un quadri-vecteur ou un scalaire). Elle s'effectue toujours entre un indice haut (indice contravariant) et un indice bas (indice covariant). Il est toujours possible de changer la position d'un indice en utilisant le tenseur métrique associé à la pseudo norme.

Nota 7 : les 6 plans sont : (t, x), (t, y), (t, z), (x, y), (x, z) et (y, z).

Nota 8 : la construction de spineurs "tensoriels" se fait de la même manière que pour les tenseurs avec la possibilité d'effectuer les mêmes opérations sur les indices.

Nota 9 : mathématiquement l'espace/temps devient un espace fibré.

Nota 10 : un boost est une transformation qui relie le passage d'un référentiel à un autre via une simple vitesse de type espace, c'est la fameuse transformation de Lorentz remplaçante de la transformation de Galilée de la mécanique classique .

Nota 11 : pour le photon qui a un spin de valeur 1 cela implique aussi que la valeur du spin sur un axe x, y ou z ne peut prendre que les valeurs plus ou moins un et pas zéro.

Nota 12 : cette fonction devient alors dans le cas général un bispineur (composé d'un spineur et d'un spineur à indice pointé) pour tenir compte de l'invariance de la théorie par une réflexion d'espace. L'apparition dans l'équation de Dirac d'une antiparticule associée systématiquement à une particule conduit pour une question de cohérence à la théorie quantique des champs. A titre d'indication, une introduction élémentaire sur les spineurs : https://arxiv.org/pdf/1312.3824.pdf