Newton a été le premier à établir une théorie physique basée sur des concepts mathématiques cohérents. Pour lui, il existait des systèmes physiques que l'on pouvait décrire comme des ensembles de particules et dont la dynamique était engendrée par des forces. Même la lumière était constituée de particules. L'étude des interférences lumineuses et de la diffraction de la lumière a permis de définir la lumière comme une onde en opposition avec les idées de Newton. Il y avait donc 2 concepts en opposition totale car les 2 théories paraissaient mathématiquement irréconciliables.

A l'époque 3 forces fondamentales étaient connues, la force de gravité, la force électrique, la force magnétique, toutes les 3 en 1/r². Faraday a eu alors l'idée pour mettre en évidence les forces magnétiques de répartir autour d'un aimant de la limaille de fer. Il a alors constaté que celle-ci se répartissait suivant des courbes bien définies entourant l'aimant. C'était la naissance du concept de lignes de force. Par la suite, les travaux mathématiques de Maxwell sur les concepts d'électricité et de magnétisme lui ont permis de définir ses fameuses équations et de donner naissance au concept de champ classique (voir nota 1), en fait le champ électromagnétique dont la lumière était une entité spécifique. C'est en particulier en s'appuyant sur ce concept de champ que Einstein, suite à ses travaux sur la relativité restreinte, a pu définir ses équations pour la relativité générale.

Einstein pensait que le concept de particule n'était pas un concept fondamental a contrario de celui de champ et il a passé une large partie de ses recherches suivantes à essayer d'intégrer la notion de particules dans celle de champ ainsi que de marier le champ électromagnétique avec la gravité (de manière classique). En relativité générale, les équations sont non linéaires et le concept de "charge" est "amoindrie" (voir nota 2) car les particules suivent des géodésique de l'espace/temps. Les recherches d'Einstein n'ont pas vraiment abouti mais en parallèle s'est développé la mécanique quantique à laquelle il a d'ailleurs apporté des contributions importantes même si la mécanique quantique contredisait dans ses fondements les convictions profondes d'Einstein sur ce que doit être une théorie physique.

La mécanique quantique étant probabiliste via une fonction de probabilités complexe, le mariage corpuscule/onde ne semblait pas impossible bien qu'il pose des problèmes très mystérieux à notre compréhension macroscopique du monde (voir mes billets sur la mécanique quantique et une façon de les résoudre). Toutefois, il semblait difficile de se passer du concept de particule dans la théorie même si celui-ci avait un statut différent de celui de la physique classique. Le concept de champ classique devait aussi être quantifié pour expliquer les phénomènes physiques constatés. Premièrement les échanges électromagnétiques se font par "grain" d'énergie, les photons. Deuxièmement, la mise en conformité des équations de la mécanique quantique avec la relativité fait apparaitre pour toute particule une antiparticule, cela conduit pour avoir un concept mathématiquement cohérent à des champs de spineurs, ces champs étant définis par la valeur du spin qui leur est attribuée. Et par suite au concept de création ou d'annihilation de particules entrainant le fait que le nombre de particules n'est plus une constante des théories. De plus, les fluctuations quantiques permettent la création de paires, particule/antiparticule, virtuelles. La découverte de la force forte et de la force faible pour expliquer les noyaux des atomes et leur instabilité dans certaines circonstances a permis de classifier les champs en rajoutant en plus du spin des caractéristiques supplémentaires liées à ces forces ce qui a donné naissance au modèle standard des particules élémentaires. Ces champs ont en commun la notion d'invariance de jauge qui est vraie aussi pour le champ de gravité mais ce dernier étant non linéaire il est impossible de le quantifier de la même manière (voir nota 3). Pour finaliser le modèle de base qui n'était cohérent que si les particules avaient une masse nulle, il a fallu rajouter un champ, le champ de Higgs, de spin 0, dont l'interaction avec les particules connues leur permettait d'acquérir l'équivalent d'une masse. La particule de Higss a été détecté en 2012 en accord pratiquement parfait avec les attendus du modèle. Par contre, suite à la détection du phénomène de "see saw" (voir nota 4) chez les neutrinos, il a fallu leur attribuer une masse qui a priori n'est pas issue d'une interaction avec le champ de Higgs. Cela détruit en partie la cohérence du modèle et ouvre la perspective d'un modèle au-delà du modèle standard.

La théorie des champs du modèle standard permet des calculs très précis à condition de lui appliquer le concept de renormalisation. Concept assez facile à comprendre mais souvent plus difficile à mettre en pratique. Par exemple, suite à la possibilité de création de particules virtuelles, une particule est toujours entourée de ces particules virtuelles qui vont soit écranter le champ soit le renforcer et par suite créer des infinis lors des calculs. La procédure de renormalisation consiste à éliminer ces infinis pour arriver à des calculs finis. Mais en fait ce procédé fait un peu "tâche" dans nos belles théories. Un autre moyen d'éliminer ces infinis est de supposer les particules étalées dans l'espace. Il y a très longtemps que cette idée est venue à l'esprit des physiciens mais aucune théorie cohérente n'avait pu être construite jusqu'à l'avènement de la théorie des cordes. Malheureusement cette théorie a maintenant montré ses limites (voir mes billets sur ce sujet).

En conclusion, le concept de particule a grandement évolué depuis Newton mais le rêve d'Einstein ne s'est toujours pas concrétisé. Même s'il est pratiquement impossible de définir aujourd'hui ce qu'est vraiment une particule, nos théories ne savent pas encore s'en passer.

Nota 1 : classiquement, le champ est considéré comme une entité physique remplissant tout l'espace. C'est la présence de particules "chargées" (le type de charge dépend du champ considéré) qui définit sa valeur en un point.

Nota 2 : dans une théorie non linéaire on peut facilement faire apparaître la notion de soliton, c'est à dire l'équivalent d'une particule constituée par le champ lui-même mais qui a une durée de vie en général finie. "Amoindrie" car les particules suivent des géodésiques mais l'espace/temps est "courbée" par leur présence, à savoir leur contenu en masse/énergie. En 1935 Einstein et Rosen ont publié un article qui en s'inspirant de la métrique de Schwarzschild (et de Ressner-Nordström) essayait de définir une particule comme une singularité du champ de gravité. Ils ont ainsi créé mathématiquement le premier "trou de ver" connu aujourd'hui sous le nom de pont d'Einstein-Rosen. A ma connaissance, cela n'est pas allé plus loin.

Nota 3 : rien dans nos observations n'empêche la possibilité que le champ de gravité soit en fait un champ émergeant, cela pourrait expliquer cette dichotomie. Un champ émergeant est un champ qui provient d'un concept plus profond. Pour la gravité, il pourrait s'agir de l'intrication, une des propriétés fondamentales de la mécanique quantique (voir les travaux de Verlinde, toutefois je ne suis pas en accord avec son approche et ses calculs). Citons comme exemple de forces émergeantes : la force de Van der Walls, résidu de la force électrique dans les atomes ou les molécules, qui permet un type de liaison moléculaire: la force semi-forte qui permet la formation des noyaux et qui est le résidu de la force s'exerçant entre les quarks.

Nota 4 : les neutrinos sont dans ce modèle au nombre de 3 et ils peuvent se transformer les uns dans les autres, c'est le phénomène de "see saw". Cela ne peut s'expliquer que s'ils ont une masse non nulle. Pour l'instant on ne sait pas mesurer la valeur absolue de ces masses, uniquement leurs rapports, mais on sait qu'elles sont très très petites.