Pour répondre à cette question (évidemment sans pouvoir affirmer quoique ce soit), il faut se replonger dans les développements des théories physiques avant la fameuse conférence de Witten de 1995 sur la théorie des cordes (voir nota 1). D'après certains cordistes et en particulier Hawking, la théorie des cordes est "une théorie du tout", à savoir elle doit faire la synthèse des théories connues c'est à dire : la relativité générale, la théorie électrofaible et chromodynamique, le modèle standard des particules élémentaires (voir nota 2).

En parallèle, les physiciens ont développé la théorie de la supergravité, c'est à dire que l'on a appliqué à la relativité générale un principe de jauge local supersymétrique comme on le fait pour les 2 théories des champs, l'électrofaible et la chromodynamique. En utilisant cette supergravité dans un espace à plus de 4 dimensions, comme l'avait fait auparavant Kaluza-Klein pour la relativité générale classique (c'est à dire sans utiliser la mécanique quantique), certains physiciens avaient l'espoir d'en faire aussi une "théorie du tout". Il a été alors montré que la supergravité restait cohérente si les dimensions de l'espace/temps utilisée avait moins de 12 dimensions (11 dimensions au plus) mais la synthèse voulue au départ s'est avérée vaine.

Pour la théorie des cordes en 1995, les physiciens étaient devant un mur de dilemmes (voir nota 3). Il y avait en fait 5 théories des cordes différentes toutes impérativement à 10 dimensions. Pour une synthèse c'était loupé. On avait tout de même montré que l'on pouvait passer de l'une à l'autre via des dualités (voir nota 4) mais cela n'était valable que 2 à 2, aucune dualité ne permettant de passer de l'une vers les 5 autres et réciproquement. De plus, on avait bien le graviton (particule de masse nulle et de spin 2) comme particule de la théorie mais le graviton est une particule possible de la relativité générale que l'on peut faire apparaitre uniquement en champs faibles (si l'on linéarise la gravité qui est par essence non linéaire et qui de plus est une théorie purement géométrique de l'espace/temps à 4 dimensions), le graviton correspondant à la quantification du champ d'onde ainsi mis en évidence. L'existence du graviton est donc une pure spéculation qui en aucun cas ne redonne globalement la relativité générale. On pouvait aussi voir que si l'on partait du lagrangien de la relativité générale et incluait de manière tout à fait manuelle à ce lagrangien une théorie des cordes, la relativité générale était modifiée de façon marginale (impossible d'observer et encore moins de mesurer une quelconque de ces modifications). Enfin, on avait découvert que les cordes à une dimension n'étaient pas les seuls objets "physiques" de la théorie mais qu'il existait aussi des d-branes qui étaient des objets ayant de 0 à 9 dimensions (il faut toujours tenir compte d'une dimension de temps supplémentaire) donc la possibilité d'associer de manière plus ou moins subjective la supergravité à la théorie des cordes (voir nota 5).

Une fois ce portait tracé que peut-on se dire si comme Witten on est avant tout un pur mathématicien (médaille Fields 1990) : "je le fais à la Grothendieck donc j'introduis une nouvelle théorie, la théorie M qui elle est à 11 dimensions, théorie chapeau ou métathéorie (cela fait mieux), elle englobe les 5 théorie des cordes et la supergravité, et grâce à mes dualités et mes d-branes je passe de l'une à l'autre sans problème". Bon, c'est bien mais au fait c'est quoi la théorie M "physiquement" en dehors d'une pure conjecture mathématique ? Depuis 1995 même Witten n'a toujours pas pu la définir et donc répondre à cette question pourtant décisive (voir nota 6). .

Alors, coup de génie ou tour de passe passe ? A chacun de se faire son opinion.

Nota 1 : Cette conférence représente ce que l'on appelle la 2éme révolution des cordes, la première correspond à l'introduction de la supersymétrie. La supersymétrie a 2 vertus principales (entre autres), la suppression des tachyons et l'introduction de manière relativement simple des fermions dans la théorie. L'espace/temps des cordes n'a alors plus 26 dimensions mais seulement 10 (une des dimensions est le temps) et il y a 5 théories possibles : type I, type IIA, type IIB, hétérotique E8xE8 et hétérotique SO(32). En dehors de ce premier problème, les particules élémentaires connues ne sont pas supersymétriques, il faut alors introduire une brisure de symétrie. Les cordistes pensaient que le lhc avec une énergie d'environ 10 TEV mettrait en évidence ces particules supersymétriques mais ce n'a pas été le cas. On verra avec une énergie qui devrait être d'environ 13.6 TEV dans un futur proche mais certains cordistes se réfugient au niveau Planckien donc à un niveau pratiquement inatteignable.

Nota 2 : Cette notion de "théorie du tout" fait de moins en moins partie du langage des cordistes. Pour l'instant sur le plan des observations et des mesures, rien ne valide la théorie des cordes. Par contre elle a amené des outils très intéressants pour faire des calculs en théorie des champs et même dans d'autres domaines de la physique. Elle a aussi ouvert des perspectives nouvelles mais les cordes dans ces cas ne sont plus obligatoirement nécessaires.

Nota 3 : Dans un article de 1994, Susskind, promoteur de la théorie des cordes dans les années 70/80, disait : "I beleive that this is an extremely important problem for string theorists who want really exists and defines a quantum theory of gravity".

Nota 4 : La T-dualité met en relation le type IIA avec le type IIB et les 2 types hétérotiques ensemble via une relation petite distance/grande distance. La S-dualité met en relation le type I avec le type hétérotique SO(32) et le type IIB avec lui-même via une relation forte interaction/faible interaction.

Nota 5 : On inclut en général à ces résultats le principe holographique dont Susskind s'est fait le "Pape". Ce principe vient du calcul de l'entropie d'un trou noir et de la polémique sur la perte (ou non ?) de l'information quand le trou noir absorbe de la matière. On peut le relier à la théorie des cordes via l'existence des d-branes. Il y a beaucoup à dire là-dessus et j'ai d'ailleurs plusieurs billets qui en parlent.

Nota 6 : On notera de plus qu'en théorie des cordes les théories électrofaible et la chromodynamique ne sont retrouvées que via des approximations (champs faibles) et qu'il est impossible de caractériser correctement le modèle standard des particules élémentaires.