Ce billet se veut un peu plus philosophique que les autres, toutefois les réflexions qu'il contient sont basées uniquement sur les théories physiques. De plus, ces réflexions sont déjà plus ou moins présentes dans quelques uns de mes billets.

On trouve dans la littérature beaucoup de papiers qui pose la question : "c'est quoi la flèche du temps ?" Une réponse simple que j'ai déjà donnée est le fait qu'une des propriétés fondamentales de la mécanique quantique est l'intrication (d'ailleurs issue de son fondement statistique, voir mes billets à ce sujet). En effet, le phénomène d'intrication se produit lors des interactions entre q-particules. Il peut être de nature explicite, par exemple un couple de q-particules est émis avec un spin global égal à 0, ou de nature plus cachée, par exemple les interférences dans le cas de l'expérience des fentes d'Young. L'intrication implique donc une flèche du temps au niveau microscopique, 2 q-particules ayant interagi ne sont plus indépendantes l'une de l'autre au moins jusqu'à ce qu'elles subissent une nouvelle interaction qui va modifier leurs niveaux d'intrication pour en créer d'autres d'un nouveau type. Le phénomène de décohérence est le pendant de l'intrication puisqu'il traduit tout simplement la myriade d'interactions que subit un système macroscopique en temps normal ou une q-particule lors d'une mesure. Cette myriade d'interactions fait alors passer l'irréversibilité des phénomènes du monde microscopique au monde macroscopique. C'est donc la flèche du temps microscopique qui implique la flèche du temps macroscopique. La fonction entropie permet de la mesurer de façon relative au niveau macroscopique (c'est à dire entre 2 états) via la valeur de sa croissance. Son utilisation à un niveau intermédiaire pose quelques problèmes, en particulier sa non unicité (calcul du type "gros grains") et sa soumission aux fluctuations potentielles des objets physiques. Il est dommage que les physiciens la prennent souvent comme fonction fondamentale des théories physiques et surtout la mettent à "toutes les sauces".

Je ne voudrais pas laisser croire que je considère l'entropie comme une fonction mineure. C'est une fonction très utile par contre à employer avec précautions. Merci à Boltzmann de l'avoir définie de façon précise dans le cas d'un gaz et d'avoir mis en évidence sa provenance, d'ailleurs purement statistique. Lorsque ses protagonistes lui faisaient remarquer qu'en inversant les vitesses des particules, le résultat s'inversait, il leur répondait tout simplement : "Eh bien essayez !". Il est vrai qu'inverser toutes les vitesses des particules d'un gaz est mission impossible (même en restant dans le domaine classique). Toutefois, je voudrais faire la réflexion suivante. Je réunis les particules du gaz dans un petit volume puis je les libère dans un grand volume. Si je passe le film de la scène à l'envers, tout le monde croit pouvoir dire que le film est passé à l'envers. Pourtant, attendons un temps beaucoup plus long, une fois les particules réunies à nouveau que va-t-il se passer ? Elles vont encore se disperser et je vais retrouver le même état moyen dans le passé que dans le futur et je ne saurai plus dire si c'est une scène du passé ou du futur (j'ai évidemment supposé l'impossible, retourner toutes les vitesses des particules du gaz). C'est tout de même quelque chose qui interroge car c'est vrai pour le verre qui casse, au bout d'un temps assez long (peut-être une éternité), le passé et le futur sont difficilement reconnaissable au moins au niveau macroscopique. Il est fait mention dans la bible de cette tautologie : "Poussière, tu n'es que poussière et tu retourneras à la poussière". Poincaré a d'ailleurs démontré qu'en physique classique un objet dynamique revient au bout d'un temps fini aussi près que voulu de son point de départ. Un temps fini peut évidemment être très très grand et de plus cela ne tient pas compte de la nature purement statistique de nos lois microscopiques.

Un point fondamental des théories physiques est que l'on peut retourner le sens du temps sans qu'elles perdent leurs statuts. Cela a souvent amené les physiciens à des interrogations. Pourtant, il me semble qu'il n'y a rien d'extraordinaire à cela. La variable temps comme les variables positions ne sont que des artefacts de nos théories, théories qui en plus sont souvent exprimées de manière différentielle. Donc ce qui est important, c'est que nos théories soient indépendantes de ces variables. C'est bien ce que nous dit le principe d'invariance relativiste. Ce qui compte vraiment c'est les intervalles car toute mesure se fait en fait par comparaison d'intervalles et nous devons définir des intervalles de références pour pouvoir produire nos mesures. Ces intervalles peuvent être très petits mais jamais tendre vers 0, d'ailleurs l'existence de la constante de Planck nous permet de définir des intervalles minimaux. Les variables temps et espace sont donc bien des artefacts issus tout simplement de moyennes sur ces intervalles.

Ceci nous amène d'ailleurs à la circularité de nos théories. Prenons un exemple typique. Pour faire son expérience qui lui a valu le prix Nobel de physique Aspect avait besoin d'une source fiable (c'est d'ailleurs la mise au point de cette source qui lui a pris le plus de temps pour faire son expérience). C'est à dire d'une source dont les couples de photons émis avaient un spin global égal à 0 avec une possibilité d'erreur très petite (je ne connais pas cette valeur). Mais pour définir la fiabilité de sa source, il s'est appuyé premièrement sur la théorie, la mécanique quantique, qui lui expliquait pourquoi sa source devait émettre des couples de photons avec un spin global égal à 0 et deuxièmement une série de mesures qui montrait que les couples de photons émis avaient bien un spin global égal à 0. Une fois sa source fiable mise au point, il a pu réaliser concrètement son expérience qui montre le caractère "non local" du phénomène d'intrication. Il est évident que cette expérience incontestable était digne du prix Nobel (ce n'est pas le cas de tous les prix Nobel). Mais il est difficile de nier une certaine circularité (le serpent se mords la queue) car les résultats de l'expérience ne peuvent être interprétés que statistiquement comme l'est la fiabilité de la source dite "fiable". Cela permet à certains non pas de contester les résultats obtenus mais de trouver des explications autres (farfelues ?) que la "non localité" du phénomène d'intrication. Pour trouver d'autres exemples typiques, on peut se référer à l'astronomie ou à la cosmologie. Le problème principal de ces sciences, c'est que l'expérimentation étant impossible, il faut pour interpréter les observations se référer à nos théories testées uniquement localement. On doit donc la plupart du temps utiliser des fonctions statistiques pour assimiler des observations à des mesures. Par exemple, l'arpentage de l'univers est bâti sur plusieurs types de chandelles standards. Pour n'en citer que 2, les céphéides (étoiles variables dont on suppose connaître très bien la périodicité), les supernovas de type Ia (dont on pense bien connaître les processus physiques conduisant à leur formation). Pour ces dernières il faut en plus rajouter, le "red shift", issu de l'application des équations d'Einstein dans un modèle très particulier qui suppose que sur des grandes distances l'univers peut être considéré comme isotrope et homogène (mais pas que, par exemple que les galaxies ou les amas peuvent être assimilés à un gaz parfait sur ces grandes distances). Ce "red shift" permet alors de déterminer la distance de ces supernovas. Je pense que le modèle lambdaCDM, issu de ces observations et d'autres (mesure de ses principaux paramètres via nos observations du fonds diffus cosmologique) est bien la meilleure solution pour décrire l'univers mais il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des "trous dans la raquette", les autres modèles (je ne sais pas s'il y en a tant que ça qui soit un peu cohérent) ne me semblent pas lui arriver à la "cheville".

Bon pour le moment, j'arrête là ces quelques réflexions. Elles me paraissent pertinentes, pourquoi certains physiciens ne s'en inspireraient-ils pas ?