Le théorème de Bell est fondamental pour l'interprétation de la mécanique quantique. Toutefois j'ai vu une démonstration qui me parait vraiment fausse et elle est reprise par plusieurs auteurs. Ce qui a de plus surprenant c'est que Aspect (prix Nobel 2022 pour son expérience démontrant le résultat de Bell) la reprend à son compte mais il spécifie bien que c'est une démonstration naïve (naïf mais en fait faux, un peu bizarre, non ?). Tout d'abord le cas pris comme référence par Bell est difficile à traduire par une expérience donc il a fallu trouver un cas similaire qui est expérimentalement possible, c'est le fameux test CHSH (initiale des auteurs), test d'une inégalité vraie pour des théories à variables cachées locales et fausse dans certaines circonstances particulières en mécanique quantique.

Mais tout d'abord revenons à ce qui a déclenché chez Bell l'idée de son théorème. En 1935 Einstein, Podolsky et Rosen publient le fameux article dit EPR. Ils croient à la localité fer de lance de toutes les théories classiques et en particulier de la relativité. Ils ne remettent pas en question les résultats de la mécanique quantique mais pensent qu'ils proviennent d'une incomplétude de la théorie. Ses résultats s'expliquent du fait de variables inconnues qui produisent les effets constatés et en particulier le fait que la mécanique quantique utilise des probabilités ("Dieu ne joue pas aux dés" d'après Einstein). Ces variables inconnues qui agissent localement nous sont cachées. On pourrait dire que le fait que ces variables soient cachées et a priori indétectables n'apportent rien de plus à part de rassurer le trio EPR, par contre l'hypothèse de localité est mise à mal par le théorème de Bell qui ne s'en est aperçu qu'après avoir analysé plus finement les résultats de son théorème. Mais pour comprendre les idées du trio EPR le traitement d'un cas simple les met en évidence. Mettons deux boules dans une urne, l'une bleue, l'autre rouge. Si je tire une boule bleue je suis sûr de tirer ensuite une boule rouge et ce quel que soit l'instant qui sépare les deux tirages et même si je déplace l'urne à plusieurs années lumières après le premier tirage. Si un couple de photons est dans l'état de spin nul du type |1z, -1z> - |-1z, 1z>, la mesure de l'état du premier suivant l'axe Z donne automatiquement l'état du second (1 -> -1, -1 -> 1). Est-on dans le cas des boules rouge ou bleue ? C'est là que se situe le théorème de Bell. Pour cela il faut comparer les résultats obtenus dans les cas où l'on fait les mesure avec des angles a et a' pour le premier photon et b et b' pour le deuxième photon.

D'abord comme la mécanique quantique est supposée exacte, les résultats obtenues dans tous les cas sont plus 1 ou moins 1. Si l'on forme le nombre :

s = r1(a,u)r2(b,u) - r1(a,u)r2(b',u) + r1(a',u)r2(b,u) + r1(a',u)r2(b',u) = r1(a,u)(r2(b,u) - r2(b',u)) + r1(a',u)(r2(b,u) + r2(b',u))

où r représente le résultat d'une mesure suivant un angle donné et u potentiellement un paramétre décrivant l'ensemble des variables cachées associées aux photons, ce nombre s est automatiquement égal à 2 ou -2 que l'on considère ou pas des variables cachées. Dans le cas des dites variables, certains auteurs prennent la moyenne sur u de ce nombre et donc bien sur la valeur obtenue est inférieure ou égale à 2 en valeur absolue mais on a en aucun cas prouvé l'inégalité CHSH car cette moyenne ne veut tout simplement rien dire et en tout cas ne permet pas de comparaison entre une théorie à variables cachées et la mécanique quantique (même résultat pour les deux).

Reprenons donc le vrai calcul qui permet d'obtenir l'inégalité CHSH qui est :

|E(a,b) - E(a,b') + E(a',b) + E(a',b')| < ou = 2 , E est la moyenne des résultats obtenus avec les angles entre parenthèses.

D'après EPR, les probabilités d'obtenir un résultat est indépendant de tout le reste donc :

E(a,b) = Intégrale(p(u)Somme(r1(a,u)r2(b,u)p1(r1,a,u)p2(r2,b,u))du) , où les p sont les probabilités indépendantes. On obtient après réarrangement des termes :

Somme(r1(a,u)r2(b,u)p1(a,u)p2(b,u)) = (p1(1,a,u) - p1(-1,a,u))(p2(1,b, u) - p2(-1, b, u)) = P1(a,u)P2(b,u) , ces 2 termes sont obligatoirement inférieur à 1 en valeur absolue (voir nota 1).

On peut donc écrire après réarrangement des termes : E(a,b) - E(a,b') + E(a',b) + E(a',b') = Intégrale(p(u)(P1(a,u)(P2(b,u) -P2(b'u)) + P1(a',u)(P2(b,u) + P2(b',u)))du)

Ce n'est pas si évident que cela mais comme tous ces termes sont inférieurs à 1 en valeur absolue on a bien démontré l'inégalité CHSH (voir nota 2).

En projetant le vecteur de base |1z, -1z> - |-1z, 1z> dûment normalisé (facteur racine carrée de 2 devant les 2 termes) sur les angles a et b, calcul relativement simple en mécanique quantique, et en calculant ensuite les moyennes sur les couples d'angles, l'inégalité CHSH est violée pour certains angles (voir nota 3).

Les résultats de la mécanique quantique rejettent l'hypothèse EPR et une analyse fine montre que c'est la localité qui en est la cause. On peut toujours supposer des variables cachées non locales mais cela n'apporte rien. Beaucoup ont cherché des parades à ce théorème. Il en existe mais elles sont si tarabiscotés que le plus simple est de les rejeter. La mécanique quantique a fait plus que ses preuves depuis plus de 100 ans et admettre sa non localité est plus simple que de se torturer l'esprit (même si cela contrarie notre entendement de la nature) et explique simplement tous les résultats obtenus sans contredire la relativité car tout échange d'information entre "opérateurs" ne peut se faire plus vite que la lumière même en essayant d'utiliser l'intrication et sa non localité.

Nota 1 : cette somme peut être considérée comme un coefficient de corrélation -> C(a,b) = p1(1,a)p2(1,b) + p1(-1,a)p2(-1,b) - p1(1,a)p2(-1,b) - p1(-1,a)p2(1,b) qui dans notre cas dépend de u. On peut écrire -> P1(a,u) = 1 - (2 x p1(-1,a,u)) ce qui montre que P1 varie de façon continue et linéaire de moins 1 à plus 1 (idem pour P2(b,u)).

Nota 2 : le terme pris en moyenne sur u prend ses valeurs extrèmes (+ 2 ou - 2) quand par exemple - > P1(a,u) = + 1 ou - 1 , P2(b,u) = + 1 , P2(b'u) = - 1 mais d'autres cas sont possibles.

Nota 3 : on prend a, a', b, b' dans le même plan passant par Z avec les valeurs suivantes des angles: (a,b) = (b,a') = (a',b') = (1/3) (a,b') = m , l'application de la mécanique quantique donne alors -> CHSH = |cos(6m) - 3 cos(2m)| qui pour m = 22.5° donne CHSH = 2.7 . C'est le fait que en mécanique quantique les probabilités dépendent des angles qui différencie ses résultats par rapport à ceux des hypothèses EPR (p(r, a, u) et non pas p(r, a, b, u)). C'est pourquoi les nouvelles expériences mettant en évidence le théorème de Bell modifient de manière aléatoire les angles, cette modification ayant lieu pendant le temps de vol des photons.