J'ai failli écrire "Mon interprétation de la mécanique quantique" mais je me suis dit que cela faisait peut-être trop prétentieux et que certains l'avaient peut-être déjà émise (pas à ma connaissance en tout cas). Rassurez-vous ses 3 arguments de base sont très simples. Ils apparaissaient déjà dans mon billet "L'intrication peut-elle expliquer plus simplement les résultats de base de la mécanique quantique" mais de manière sous-jacente (et peut-être même un peu inconsciente). Pour chacun de ces arguments je citerai le nom d'un ou deux chercheurs français qui les mettent en avant mais aucun n'utilise les 3 ensemble et chacun a ou est rattaché à une interprétation (pas directement à celle-ci). Vous me direz pourquoi une énième interprétation ? En fait à ma connaissance aucune ne donne pleine satisfaction ni ne permet un certain consensus. Pour en citer quelques-unes avec leurs défauts : De Broglie/Böhm, problème avec la relativité ; Everett-De Witt, que faire de tous ces univers ; Copenhague/Bohr, scission entre le microcosme et le macrocosme ; Von Neumann, où arrête-on la chaîne quantique ; Bitbol, le fait relationnel n'explique pas grand-chose ; etc. Une interprétation est-elle utile ? En fait elle consiste à traduire les résultats de la mécanique quantique en des termes proches de notre conception macroscopique de l'univers. Nous sommes macroscopiques et donc le monde microscopique nous est étranger (même si des phénomènes microscopiques apparaissent au niveau macroscopique, la scission entre les deux n'existant pas) d'où une difficulté d'interprétation inhérente à notre position. La mécanique quantique considérée comme un outil se suffit à elle-même et ses résultats montrent que c'est une des meilleures (si ce n'est la meilleure) théories élaborées par l'esprit humain.
Bien maintenant que tout cela est dit revenons-en à mes 3 arguments et commençons par les citer avant de les expliquer :
1 Les probabilités de la mécanique quantique sont des probabilités standards (Balian, il a sa propre interprétation).
2 La mécanique quantique est non locale (Laloë, il partage les idées de Böhm ; Aslangul, il partage les idées de Bohr sauf sur la scission entre le macrocosme et le microcosme).
3 Les propriétés des objets quantiques sont contextuelles (Grangier, il a sa propre interprétation ; Rovelli, il a sa propre interprétation).
Ces arguments sont simples, a priori logiques, et étayés par nos connaissance sur la mécanique quantique et ses résultats. En fait, j'ai déjà fait des billets sur les 3 arguments mais voyons ce qu'ils apportent une fois réunis.
Dans mon billet "Probabilités complexes et mécanique quantique", je montre que partant d'une probabilité tout à fait standard mais construite comme la mécanique quantique sur une fonction de probabilités complexe on retrouve la plupart des résultats de la mécanique quantique et en particulier l'hermiticité de l'opérateur d'évolution (au nombre complexe i près) ce qui conduit à des valeurs de mesure pouvant être continues ou discrètes. Il n'y a plus de "réduction de la fonction d'onde" simplement une mise à niveau de nos connaissances qui modifie instantanément la fonction complexe de probabilité (comme dans toute théorie des probabilités). Le phénomène de décohérence explique alors très bien le pseudo postulat de la mesure, si les événements probables sont dépendants et exclusifs alors un seul événement se produit à chaque mesure et les événements très très très improbables (termes croisés de l'opérateur densité) seront considérés comme des scories de l'expérience car non reproductibles (une expérience parfaite n'existe pas). Beaucoup ont l'air très remonté sur ces faits et en rédigent des pages mais aucun argument sérieux n'en ressort.
Le deuxième argument est mis en évidence par les théorèmes de Bell, le trio GHZ et Hardy et en plus il est vérifié par les expériences (par exemple celle d'Aspect, prix Nobel 2022 pour cela). Certains essaient de démontrer que cette non localité n'existe pas et aussi en rédigent des pages mais encore aucun argument sérieux n'est avancé et c'est beaucoup plus simple de l'admettre d'autant qu'il ne remet pas en cause la relativité (tout échange d'information entre "observateurs" se fait via des moyens macroscopiques et même s'ils sont fabriqués avec des objets quantiques, des transistors, cet échange ne peut se propager plus vite que la lumière car la non localité n'est pas exploitable pour cela). Je renvoie à Laloë "Comprenons-nous vraiment la mécanique quantique ?" au moins pour ce passage, les autres étant plus discutables (Böhm en sous-main). Cet argument permet d'expliquer simplement la plupart des résultats de la mécanique quantique sans utiliser la notion souvent utile mais plus qu'incorrect de corpuscule/onde. Présente dès le départ de la constitution de la mécanique quantique via l'équation de Schrödinger, elle conduit à des dilemmes. La seule erreur du grand Feynman est d'avoir introduit dans son cours l'expérience des fentes d'Young pour des particules quantiques autres que les photons (classiquement on associe une onde aux photons, le champ électromagnétique classique). A l'époque, cette expérience n'avait jamais été réalisée autrement qu'avec des photons. Elle conduit à croire que les particules quantiques interférent avec elle-même (car pouvant être émises une à une dans l'expérience). En fait si l'on prend en compte la non-localité, l'expérience s'explique très bien (mais est difficile à mettre en équation comme souvent si l'on tient compte de toutes les interactions). Le défaut majeur de la mécanique quantique mais aussi une de ses grandes qualités (pour la mise en équation) est que l'on peut créer des histoires pour interpréter les faits. Les particules quantiques ont 2 états, passage par la fente 1 ou passage par la fente 2, et l'on déroule l'équation de Schrödinger pour établir le résultat. Mais que se passe-t-il vraiment ? Les particules quantiques interagissent entre elles dans la source, puis avec le 1er écran, puis avec l'environnement, enfin avec le deuxième écran (le fait qu'elles soient émises une à une ne change rien à cela). Qui dit interactions, dit intrications et donc la non localité intervient de façon permanente lors de l'expérience ainsi que la corrélation entre objets physiques. De plus, l'intrication explique très bien toutes les expériences (choix retardés par exemple) et est maintenant à la base de nouvelles technologies (ordinateur quantique, téléportation, codage infalsifiable, etc). La notion onde/corpuscule peut être utile pour expliquer simplement certaines expériences mais s'avèrent n'être qu'une image pratique rien de plus. D'ailleurs en sophistiquant l'expérience d'Young on en a vite la preuve. Pour cela on utilise des atomes excités et on met devant ou derrière les fentes d'Young des cavités résonnantes. L'interaction de l'atome avec les cavités résonnantes produit sa désexcitation et dans ce cas les interférences disparaissent car le niveau d'intrication des particules quantiques a été modifié. L'atome désexcité a changé d'état, il est maintenant fortement intriqué avec le photon émis.
Le troisième argument est très simple pour définir des "propriétés" des particules quantiques nous introduisons des appareils macroscopiques même quand on parle d'expérience avec des "atomes isolés". Nous savons qu'il est impossible d'annuler l'interaction de la particules avec l'appareil de mesure et une fois de plus qui dit interaction dit intrication (même s'il s'agit de mesure dite non destructive ou avec des systèmes physiques soit disant unique). Donc ce que l'on mesure c'est toujours l'interaction de la particule avec la myriade de particules constituant l'appareil de mesure (on peut en plus rajouter l'environnement, les photons et les neutrinos des fonds diffus cosmologiques sont toujours présents quoique l'on fasse). On a donc mesuré une propriété commune de la particule quantique et de l'appareil de mesure (sans oublier l'environnement), c'est comme cela que j'utilise le terme contextuel (ce n'est peut-être pas la définition de certains). Toujours dans l'expérience d'Young, la somme des courbes d'impacts lorsque l'une des fentes est bouchée (ou les atomes désexcités) est différente de la courbe obtenue fentes non bouchées (ou cavités non accordées). Les propriétés attribuées à la particule quantique sont donc bien celle de l'ensemble. Dire que ce sont des propriétés de la particule quantique, c'est allé plus loin que les résultats de l'expérience et peut conduire à des non-sens. Par exemple supposer que les particules quantiques interférent avec elles-mêmes n'est vraiment cohérent qu'avec l'interprétation de De Broglie/Böhm réfutée par la relativité.
La mise bout à bout de ses 3 arguments complémentaires donne une interprétation simple des résultats de la mécanique quantique sans qu'il soit nécessaire d'invoquer des mystères qui n'en sont pas. Le seul vrai mystère étant la non localité qui est le résultat du phénomène d'intrication et qui défit toutes nos sensations macroscopiques mais qui en définitive peut être considéré comme le résultat du caractère probabiliste de la théorie (voir la page "Calcul fentes d'Young avec cavités résonnantes" pour avoir un exemple précis de comment appliquer les arguments de ce billet à une expérience réaliste).
Quelques points supplémentaires. Il n'existe pas de frontière entre le microcosme et le macrocosme, tout est quantique, seule la myriade d'interactions réalisées dans le monde macroscopique fait que les objets macroscopiques (mais pas tous) se comportent en suivant les lois classiques. En définitive nous ne savons pas ce qu'est une particule quantique et nos gros sabots ne nous permettrons jamais d'aller plus loin. La mécanique quantique se suffit à elle-même et toute explication à l'aide d'image macroscopique est vouée à l'échec (même si elle peut être utile pour les calculs). Enfin chaque interaction est l'équivalent d'une mesure via le phénomène d'intrication et lors des interactions suivantes le niveau d'intrication est modifié sans obligatoirement supprimer les intrications antérieures.